Electrons libres en performanceGUY SIOUI DURAND
Vendredi, 3 novembre 2010, La chambre blanche. Au terme d’une résidence de création, l’artiste japonais Yasuto Masumoto complète sa série d’installactions. Elles ont toutes une direction temporelle, une obsession existentielle unique.
Dans la grande salle ouverte, baignée de la lumière crue des néons, Masumoto a construit un faux mur, fait de grands cartons blancs d’environ 10 pied sur 10 (3 m sur 3). Retenue par des cordes et des œillets fixés au plafond, la surface est en porte-à-faux : d’une part, elle cache derrière elle deux escabeaux préfigurant une action à venir; d’autre part, l’insertion de dessins sur une petite surface rectangulaire du grand carré donne à penser à une œuvre picturale minimale.
Il y a des deux, à vrai dire.
Toutefois, comme ce fut le cas pour les trois autres agencements présents en salle, traces d’actions antérieures, c’est ce dispositif annonçant une performance participative qui importe. En effet, ce que Masumoto offre à vivre avec lui aux gens venus en cette fin de résidence est l’obsession à la base de sa créativité : un mur, métaphore de tout un édifice qui s’effondre sur soi! Perchés sur des escabeaux derrière le grand mur de cartons, deux acolytes actionnent les cordes à répétition sur quelques-uns d’entre nous, puis sur l’artiste et la photographe.La scène est rejouée. Ce faisant, l’artiste nous convie à imaginer, à ressentir (en partie) ce que son arrière-grand-mère a vécu à Hiroshima.
Une catastrophe générale peut, quelquefois, sourire à une personne.
C’est le point de départ et la finalité totale de l’ensemble des installactions créées lors de sa résidence de création à La chambre blanche, mais aussi le dédoublement paradoxal des attentes de l’artiste. C’est que, en 1945, sur Hiroshima, les Etats-Unis ont largué la première bombe atomique. C’était l’horreur absolue. On a tous en mémoire l’image du champignon de fumée qui s’élève : destruction immédiate et mort dans l’épicentre, puis ravages des radiations étendues dans les alentours pour des générations de survivants. Depuis, le monde connaît et la peur du nucléaire – encore aujourd’hui autour de l’Iran -, et bien des catastrophes destructrices et mortelles de tous ordres – par exemple le récent tremblement de terre en Haïti et ses 300 000 morts. À ce moment historique, donc, l’arrière-grand-mère de Yasuto Masumoto était résidente d’Hiroshima. L’explosition de la bombe a provoqué l’effondrement du bâtiment qu’elle habitait. Les murs en débris sous lesquels elle s’est trouvée ensevelie ont alors formé un écran protecteur qui lui a sauvé la vie! Dans cet épisode de l’humanité guerrière condamnable adviendra ce petit moment de grâce et de vie. En effet, si l’artiste japonais d’aujourd’hui voyage jusqu’à Québec à la faveur du programme d’échanges internationaux inités par le centre d’artistes La chambre blanche, c’est qu’il y a ce point zéro et cet après : l’après d’une lignée familiale, mais aussi l’après de cette histoire sans cesse racontée, que l’artiste a reprise comme une obsession artistique actuelle.
Voici donc une étonnante performance participative paradoxale : alors que le petit-fils tente de renouer avec les émotions de peur, de surprise, d’incompréhension et de douleur – dans une performance quelques jours plus tôt, il avait expérimenté, avec la complicité de Christian Messier, une forme de massage des pieds extrêmement douloureuse – , cette action se passe dans la joie et le plaisir! Un tel climat m’a tout de suite donné à réfléchir sur le changement de regard générationnel et, par là, de paradigme. C’est que jusqu’ici, de manière générale, le côté dramatique, tragique, morbide, émanait de bien des chorégraphies, danses, théâtres et performances reliés à la catastrophe nippone. Le style butó, cette danse corporelle lente en dialogue obscur avec les âmes errantes aux visages blanchis, en est l’incarnation. Dix ans plus tôt, en 2000, à Aizu-Mishima, au centre de l’île japonaise, j’ai même pu observer lors du festival international Mix-Multimedia une de ces performances physiquement et mentalement exigeantes.
Effet de temporalité qui s’éloigne du fait historique? Guérison? Il faut aussi y percevoir, sous les dispositifs, une recherche sensible d’un passé fondateur de l’identité postimpériale au moment où les Japonais, détachés du continent (chinois) et fortement urbanisés-industrialisés à l’occidentale, sont aussi en interrogation. À cet égard, au-delà des barrières géographiques, politiques et culturelles, Yasuto Masumoto a élaboré à La chambre blanche un moment performatif sensé, sensible et en partage universel.

 

Inter108-2

 

Friday, November 3rd, 2010, La chambre blanche. At the end of a creative residency, the Japanese artist Yasuto Masumoto completes its series of installactions. They have quite a temporal direction, a unique existential obsession.
In the wide open gallery, bathed by the raw light of neons, Masumoto built a fake wall, made out of big white cardboards about 10 feet by 10 (3 m on 3). Held by ropes and eyelets fixed to the ceiling, the surface is in an awkward position: on one hand, it hides behind two stepladders prefiguring an action to come; on the other hand, the insertion of drawings on small rectangular surface of the big square give to think of a minimal pictorial artwork.
To tell the truth, there is both.
However, as it was the case for three other artworks presented in the gallery, traces of previous actions, it was that device announcing a participative performance that matters. Indeed, what Masumoto offers to live with him to people that came in the end of his residency is the obsession on the base of his creativity: a wall, a metaphor of a whole building that collapses on someone! Perched on stepladders behind the big cardboard wall, two accomplices activate ropes with repetition on someone of us, then on the artist and the photographer. The scene is replayed. With this, the artist urges us to imagine, to feel (partially) what his great-grandmother lived in Hiroshima.
A general disaster can, sometimes, smile to one person.
It is the departure point and the total purpose of all the installactions created during his creative stay in La chambre blanche, but also the paradoxical halving of the expectations of the artist. It is because, in 1945, on Hiroshima, the United States released the first atomic bomb. It was the absolute horror. We have all in memory the image of the mushroom of smoke which rises: immediate destruction and death in the epicentre, then devastation of the radiations spread in the surroundings for survivors’ generations. Since, the world knows and the fear of the nuclear power – even today around Iran-, and many destructive and mortal disasters of any orders – for example the recent earthquake in Haiti and its 300 000 deaths. At this historic moment, thus, the grand-grandmother of Yasuto Masumoto was resident of Hiroshima. The explosition of the bomb provoked the collapse of the building in which she lived. Walls in fragment under which she was buried then formed a protective screen which saved her life! In this episode of the reprehensible humanity warrior will happen this small moment of grace and life. Indeed, if the Japanese artist travels to Quebec thanks to the international exchange program of of the artists-run center La chambre blanche, it is because there is this zero point and this later: later of a family lineage, but also later of this ceaselessly told history, which the artist took back as a current artistic obsession.
Here is thus a surprising paradoxical participative performance: while the grandson tries to take up with the feelings of fear, surprise, incomprehension and pain – in a performance a few days earlier, he experimented, with the complicity of Christian Messier, an extremely painful feet massage -, this action takes place in the enjoyment and the pleasure! Such a climate made me think about the change of generational glance and, there, paradigm. It is because up to here, in a general way, the dramatic, tragic, morbid side, emanated from many choreographies, dances, theaters and performances bound with the Japanese disaster. The butó style, this slow physical dance in dark dialogue with the wandering souls with the cleared faces, is the embodiment. Ten years earlier, in 2000, to Aizu-Mishima, in the center of the Japanese island, I was even able to observe during the international festival Mix-Multimedia one of these performances physically and mentally demanding.
Temporality effect which goes away from the historic fact? Cure? It is also necessary to perceive, under the devices, a sensitive research for a founding past of the postimpériale identity as the Japanese, untied from the continent (chinese) and strongly urbanized industrialized in a Westerner way, are also in interrogation. In this respect, beyond the geographical, political and cultural barriers, Yasuto Masumoto elaborated in La chambre blanche a meaningfull, sensitive performative moment in universal sharing.